Imposées par des régimes multilatéraux (ONU, Union européenne) et unilatéraux (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada), les sanctions financières internationales ciblent désormais de manière plus précise des pays, secteurs stratégiques, entreprises et individus. L’Union européenne a illustré cette évolution avec son 15ᵉ paquet contre la Russie (décembre 2024), incluant des acteurs économiques liés à l’effort de guerre, suivi d’un 18ᵉ train (juillet 2025) élargissant les restrictions, notamment contre des entreprises chinoises. Et un 19ᵉ paquet, axé sur la lutte contre le contournement des sanctions, vient d’être dévoilé par l’UE. De quoi mettre à l’épreuve les dispositifs de conformité les plus solides.

Des coûts de conformité en hausse

Depuis 2020, près de 490 millions d’euros ont été réglés au titre de sanctions européennes, soit une hausse de plus de 580 % sur la période, selon une étude du BCG de décembre 2024. Face à cette dynamique, les établissements financiers sont contraints de renforcer leurs dispositifs de conformité, avec des investissements significatifs dans le renforcement des équipes, la formation continue et l’optimisation des solutions technologiques. L’objectif est double : accroître l’efficacité des dispositifs de contrôle et limiter ainsi le risque de nouvelles sanctions, tout en s’adaptant à un cadre réglementaire en constante évolution.

Au-delà du montant des sanctions, l’impact financier réel pour les entreprises concernées est bien plus important. Toujours selon l’étude du BCG, cet impact peut représenter de cinq à huit fois le coût directement payé, en raison des exercices de remédiation, du renforcement des dispositifs de contrôle, des audits, des formations supplémentaires ou encore de la réduction de l’appétit au risque.

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Conformité vs croissance : un dilemme constant

De plus, les sanctions internationales, en ciblant États, secteurs sensibles ou individus, placent les institutions financières face à un dilemme constant : respecter un cadre réglementaire de plus en plus exigeant tout en maintenant leur croissance. Or, le non-respect de ces normes peut coûter cher. Par exemple, le 20 mars 2025, l’OFSI (Office of Financial Sanctions Implementation au Royaume-Uni) a infligé une amende de 465 000 livres à Herbert Smith Freehills CIS LLP Moscow, pour avoir violé l’embargo russe en transférant près de 4 millions de livres à trois banques sanctionnées (Sberbank, Sovcombank, Alfa-Bank) en mai 2022.

Malgré les sanctions en vigueur, certaines filiales poursuivent parfois des activités dans des zones sous sanctions. C’est le cas de la filiale américaine de Deutsche Bank, sanctionnée par l’OFAC (Office of Foreign Assets Control US) pour avoir traité des paiements impliquant des entités sous sanctions liées à la région de Crimée. Bien que la maison-mère soit basée en Allemagne, ses filiales doivent impérativement respecter les sanctions locales, sous peine pénalités.

Ce jeu d’équilibre stratégique, reposant sur des entités moins exposées aux contrôles, reflète l’hétérogénéité des régimes de conformité à l’échelle mondiale et les possibilités d’arbitrage réglementaire.

Sanctions internationales et asymétries géopolitiques

Les tensions géopolitiques révèlent une asymétrie entre les États-Unis et l’Europe. Les acteurs financiers américains bénéficient d’un avantage stratégique : grâce à leurs sanctions extraterritoriales et au contrôle du dollar, elles ont un accès privilégié à certains marchés et peuvent transformer la conformité en levier concurrentiel.

À l’inverse, les banques et sociétés européennes doivent naviguer entre réglementations américaines et locales, notamment pour leurs transactions avec le marché asiatique, ce qui crée des obstacles concrets : coûts accrus, complexité juridique et risque de non-conformité. Face à ces défis, les entreprises doivent adopter des stratégies de diversification, de surveillance des sanctions et d’adaptation des chaînes d’approvisionnement pour rester compétitives dans un environnement fragmenté.

L’intensification des sanctions internationales, les coûts croissants et les opportunités perdues obligent désormais les entreprises à dépasser une approche réactive pour bâtir une résilience stratégique et maintenir leur compétitivité. Elles disposent pour cela de trois leviers clés.

Gouvernance stratégique des sanctions et contrôle interne adapté

Premier levier : mettre en place un programme de conformité global axé sur le contrôle des sanctions et embargos, piloté par un responsable senior dédié*. Ce responsable, indépendant et rattaché directement à la Direction Générale, doit anticiper les risques liés aux régimes de sanctions, superviser des contrôles renforcés sur les flux sensibles (paiements, clients, contreparties) et assurer un reporting régulier aux instances internes et aux autorités.

L’objectif est d’évoluer d’une simple détection (« screening ») vers une conformité intégrée, fondée sur des contrôles ciblés, des formations spécialisées, des tests réguliers et une amélioration continue. L’anticipation, via une veille stratégique active, est essentielle pour identifier les risques émergents, suivre les évolutions géopolitiques et réglementaires et simuler l’impact des futurs embargos pour garantir la résilience opérationnelle.

*conformément aux lignes directrices de l’EBA (novembre 2022) et aux articles L.561-32 à L.561-36 du Code monétaire et financier.

Automatisation et intelligence artificielle

Deuxième levier : adopter les technologies avancées pour allier conformité aux sanctions et embargos et efficacité opérationnelle renforcée.

D’abord, car l’IA peut jouer un rôle clé en réduisant les faux positifs grâce à des algorithmes de matching intelligent, tenant compte des variantes culturelles et phonétiques. Cela évite des blocages excessifs, comme le rejet systématique des fonds liés à l’aide humanitaire à destination de l’Iran dans les années 2018-2019.

L’IA générative peut également faciliter l’analyse des opérations et la remontée des alertes. Des modèles de machine learning détectent les schémas complexes de contournement, tels que les circuits multi-juridictionnels ou sociétés écrans. Par exemple, Commerzbank utilise Pelican AI pour centraliser son screening, réduisant les coûts et améliorant la détection. HSBC applique l’IA à l’analyse comportementale pour surveiller les contournements, tandis que BNP Paribas automatise le filtrage pour limiter les rejets injustifiés.

Ces solutions permettent également aux analystes de dégager du temps pour les opérations les plus complexes et atypiques, nécessitant une analyse « humaine » approfondie.

Coopération sectorielle et mutualisation

Enfin, troisième levier : la mutualisation des efforts constitue une réponse stratégique efficace face aux défis des sanctions. Le partage de bases de données sur les entités à risque et la mise en place de solutions KYC centralisées à l’échelle européenne permettent de rationaliser les processus, réduire les doublons et alléger la charge liée à la due diligence.

Par exemple, le registre KYC (Know Your Customer) utilisé par plus de 2 500 institutions, centralise des données standardisées pour limiter les surcoûts. Des initiatives nationales comme KUBE (Belgique), Invidem (pays nordiques) ou O KYC (Italie) illustrent cette coopération régionale.

Par ailleurs, des solutions comme celle de “transaction screening” de SWIFT renforcent l’efficacité des contrôles collectifs, tout en garantissant un haut niveau de conformité aux sanctions.

Conclusion : Relever le défi de l’équilibre entre conformité et compétitivité

Dans un contexte géopolitique sous tension, les institutions financières font face à un renforcement du risque de non-conformité, lié à la multiplication des sanctions et embargos et des exigences réglementaires. Pour maintenir leur compétitivité, elles doivent trouver un équilibre entre croissance économique et respect strict des cadres éthiques et juridiques.

Cette pression réglementaire, bien que contraignante, agit également comme un levier d’innovation, incitant les acteurs du secteur à repenser et à optimiser en permanence leurs dispositifs de contrôle, leurs outils de pilotage et leurs stratégies de conformité.